Eté 1967. Le « Summer of Love » marque le crépuscule des années d’utopie, de joie et de libération des moeurs initiées par les enfants du « baby-boom ». Une période qui a également vu une partie des pays occidentaux s’engouffrer sans réserve dans la société de consommation. Mais le déclin s’amorce et l’année 1968 est émaillée sur tous les continents de manifestations de la jeunesse aux allures de « romantisme révolutionnaire » contre l’ordre établi sur fond de guerre froide, de décolonisation, de multiplication des conflits au Moyen-Orient, de combats pour les droits civiques et d’une guerre au Vietnam qui n’en finit pas de s’enliser suscitant un rejet croissant de la politique étrangère des Etats-Unis.

Comme la plupart des pays occidentaux, la France s’industrialise et se développe à marche forcée depuis la fin de la guerre, mais tous ne profitent pas de la prospérité d’autant que la conjoncture économique se dégrade et que le chômage fait son apparition, contribuant à détériorer une situation sociale déjà tendue. Dans cette société en pleine crise existentielle, ce sont les étudiants, de plus en plus nombreux, qui sont à l’origine des agitations qui vont faire entrer dans l’histoire cet extraordinaire printemps 68 que personne n’avait vu venir. Conscients de représenter une jeunesse qui compte pour le quart de la population, ils dénoncent leur précarisation et remettent en cause la hiérarchie, l’autorité, la sélection sociale et la reproduction des élites. Le milieu culturel les soutient, suivi des syndicats, pourtant méfiants vis-à-vis des mouvements étudiants toujours très critiques à leur égard. Au final, les universités et les usines occupées, la grève générale, les barricades et les affrontements constituent de sublimes moments d’unité sociale qui débouchent sur les meilleurs accords obtenus par l’ensemble des salariés du pays depuis 1936 comme les 35 % d’augmentation du salaire mimimum. La France, et le monde en général, ne sont plus tout à fait les mêmes après ces événements qui ont permis l’éclosion et l’affirmation d’un grand nombre de mouvements d’émancipation mais ont effrayé la classe dominante qui n’oubliera jamais cette lame de fond qu’a été mai 68.

C’est dans ce contexte insurrectionnel que l’imagination a pris le pouvoir. Mi-mai, l’école des Beaux-Arts suivie de celle des Arts Décoratifs, de Médecine et de nombreuses facultés parisiennes et de province se muent en « Ateliers Populaires » qui remettent en cause « le pouvoir éducateur de la bourgeoisie » et veulent ouvrir le champ « au pouvoir éducateur du peuple ». En quelques semaines, les Ateliers réalisent une impressionnante série d’affiches qui concentrent l’essentiel de leurs attaques sur de Gaulle, le parlementarisme, les médias, le mandarinat, la répression policière, le capital, les syndicats, le fascisme, l’impérialisme et soutiennent la lutte commune des étudiants, ouvriers et paysans. La créativité s’allie à l’esthétisme pour inventer slogans et courts aphorismes qui sonnent bien et se mémorisent facilement, associés à des images percutantes qui oscillent entre romantisme et virulence. Mais la kermesse héroïque prend fin le 27 juin, quand la police investit les Beaux-Arts. Trop tard. L’histoire est passée. Les affiches ont même franchi les frontières et donnent désormais la parole aux murs des révoltés du monde entier.